
L’après COVID-19 ne promet pas un avenir facile. Au contraire, à tous les niveaux de nos sociétés, le coronavirus remet en cause nos modes de vie, notre façon d’échanger, de nous soigner, de nous nourrir, de travailler, bref de vivre et faire tourner le monde.
Tous les gouvernements de la planète, qu’importe leur degré de développement, se voient dans l’obligation de trouver des remèdes et des palliatifs, dans tous les sens du terme. Débloquer des fonds pour approvisionner tous les secteurs, en priorité la santé ; continuer de faire tourner l’économie, autant que faire se peut ; faire en sorte que les équipements de santé soient disponibles ; faire en sorte que chaque personne puisse se nourrir et se soigner dignement, etc. Ce virus, pourtant invisible, fait vaciller notre système, fruit d’un processus de plusieurs décennies, comme aucun autre ennemi auparavant.
Le Brésil sur la voie des soins intensifs
Cependant, nous ne pouvons pas tout arrêter ou basculer sur un potentiel nouveau mode de développement d’un coup de baguette magique. Nous reposons encore sur l’économie. Et les perspectives ne sont pas bonnes. Aucun pays n’est à l’abri et la France et le Brésil ne sont pas des exceptions. La France, qui prévoit une récession de 8%, vient d’y entrer. Les perspectives pour le Brésil sont alarmantes. Le chômage pourrait exploser d’ici juin et dépasser les 19%.
Les mesures prises par le gouvernement fédéral semblent pourtant timides. Le président Jair Bolsonaro, en plus d’attiser les esprits de luttes politiques dans un moment pour lequel n’importe quelle nation a besoin d’union, semble toujours avoir besoin d’être chahuté afin de lever un montant raisonnable de fonds pour affronter cette crise sans pareil. Ce fut le cas notamment pour l’allocation de R$ 600 (105 euros) pour les indépendants, les travailleurs informels et les micro-entrepreneurs individuels. Bolsonaro parlait initialement d’une aide de R$ 200 (35 euros), puis l’a augmentée à R$ 300 (53 euros) puis, après de nombreuses critiques et interventions du Congrès, l’aide est passée à R$ 500 (88 euros). Enfin, ayant le dernier mot, le Chef de l’exécutif a finalisé l’offre à R$ 600.
Mais la logistique permettant aux citoyens de mettre la main sur cette somme est en elle-même un défi. Une application de smartphone a été développée spécialement à cet effet. Mais quand une importante partie des bénéficiaires ne sont pas à l’aise avec la technologie, que certains ne possèdent pas le niveau d’éducation requis pour comprendre son fonctionnement, que ce bénéfice devient une obligation pour survivre et, en plus, que le plus haut représentant du pays vous affirme que le pays ne peut pas s’arrêter, que les gens doivent sortir de chez eux et que l’économie doit tourner coûte que coûte, se diriger vers les banques et la Recette Fédérale (le Fisc) devient une nécessité. Ainsi, malgré les messages à répétition dans la presse et les explications des journaux télévisés, les Brésiliens se sont-ils déplacés en masse et ont formé de longues queues devant les organismes pouvant repasser ce bénéfice, dans la majorité des cas, ne respectant pas les distances de sécurité.
Quand la politique interne gène la santé
De nombreuses représentations comparent le comportement du Président de la République à celui d’un provocateur de “gueguerres”, dans un premier temps avec les gouverneurs d’Etats puis avec certains membres de son propre gouvernement, en première ligne le Ministre de la Santé, Luis Henrique Mandetta. Ce dernier a plusieurs fois été menacé par Bolsonaro justifiant que la notoriété lui montait à la tête mais que son “stylo fonctionne encore bien”, faisant ici référence à la signature qu’il pourrait apposer sur le document démettant Mandetta de ses fonctions.
Et cela n’a pas tardé à se concrétiser. Le 16 avril, après des rumeurs de démission, d’exonération, de démentis un peu dans le style novelas, le Ministre Mandetta a annoncé qu’il avait été démis de ses fonctions par le Président du Brésil. Quelques minutes après, ce dernier a ainsi annoncé à la Nation ce choix, en justifiant que le Ministre et lui-même était en désaccord surtout sur comment aborder le sujet des priorités sur la vie de la population et le retour de l’économie.
Dans son discours, Bolsonaro a ainsi déclaré : “je sais que la vie n’a pas de prix mais l’économie doit revenir”. Ce dernier en a aussi profité pour raviver la querelle entre son rôle et celui des Gouverneurs des Etats brésiliens en assurant que certains prenaient de mauvaises décisions et que “la facture restera sur le dos des Gouverneurs”. Il peut sembler inquiétant qu’un pays et un peuple doivent passer par un changement de Ministre de la Santé (pourtant soutenu par 77% de la population) dans un contexte de pandémie internationale comme nous le vivons aujourd’hui.
Les mesures dans l’Etat du Ceará
De son côté, le Gouverneur de l’Etat du Ceará, Camilo Santana, a exprimé sur ses réseaux sociaux son regret de la décision du Président Bolsonaro et a manifesté sa préoccupation.
Dans la région du Nordeste, le Consortium Nordeste (initiative de collaboration institutionnelle des 9 Gouverneurs nordestins) maintient un dialogue permanent afin de développer conjointement leurs actions face à la pandémie. Mais les Etats ne pourront tenir que très peu de temps seuls et sans les ressources du gouvernement fédéral.
Dans le but de minimiser les effets du confinement, le gouverneur Camilo Santana, a annoncé un ensemble de mesures. Parmi ces mesures, certaines sont faites pour pallier les besoins de base de la population. Pour les familles les plus démunies, une carte de bons d’alimentation, de R$ 80 (13 euros) a été débloquée, bénéficiant ainsi 423 000 élèves du réseau d’éducation de l’Etat. Pour une grande partie de ces élèves, le repas de la cantine de l’école représente le repas le plus consistant de leur journée.
De nombreux foyers sont exemptés de leurs factures d’eau (338 000 familles) et d’électricité (534 000 familles), et la distribution de 200 000 bouteilles de gaz est rendue gratuite.
Pour répondre aux besoins des entrepreneurs, le Ceará dispense le paiement des impôts des micro et petits entrepreneurs inclus dans le “Simples Nacional”, un régime fiscal différencié et simplifié ; la validité des certificats négatifs (permettant l’habilitation des entreprises en processus d’appel d’offre) est prolongée ; ou encore le délai pour répondre aux demandes fiscales est aussi prolongé.
Les principales institutions d’entreprises du Ceará se mobilisent grandement afin de faciliter le travail à distance. Le SEBRAE/CE (Service Brésilien de Soutien aux Micro et Petits Entrepreneurs) a développé tout un système de formations via leur site internet ou WhatsApp, avec l’opération “SEBRAE Plus Proche de Vous”. Cette action comporte ainsi, en plus des formations, des sessions de consulting marketing et financier, des lives et des webinaires accessibles aux entrepreneurs de toutes tailles. Selon le Directeur du SEBRAE/CE, Joaquim Cartaxo Filho, en exclusivité pour cet article, “les petits entrepreneurs possèdent un plus grand potentiel de survie – dans n’importe quelle situation – du fait de leur capacité d’adaptation. L’adaptabilité à la “nouvelle normalité” sera fondamentale pour la survie des organisations, devant les effets de la crise du coronavirus dont les tendances sont :
- Disparition
- Récupération traditionnelle
- Transformation
- Nouvelles entreprises”
De son côté, la Fédération des Industries du Ceará (FIEC) a produit, parmi d’autres outils, un document abordant secteur par secteur les obstacles et scénarios rencontrés dans ce contexte COVID-19. Le document présente ainsi pour chacun d’entre eux la problématique posée, un benchmarking, une proposition de solutions ainsi que les acteurs impliqués. Ces mesures permettant donc aux entrepreneurs de ces secteurs de pouvoir maintenir un certain niveau de survie.
Les prévisions de tous les secteurs et de tous les corps d’action (gouvernement d’Etat, santé, économie, etc) sont très pessimistes. Le secrétaire de la santé du gouvernement du Ceará, Dr. Cabeto, estime que, avec les moyens, le matériel actuels et aux vues de la prolifération du virus en ce moment, nous pourrions devoir compter près de 250 morts par jour uniquement dans l’Etat du Ceará.
A titre personnel, n’étant ni professionnel de santé ni économiste, dans mon rôle de simple citoyen, je ne peux retirer de mon esprit que les entreprises sont faites de personnes et que ces personnes ont besoin de la santé en premier lieu et ensuite de leur emploi. Si un gouvernement doit maintenant développer toutes les mesures possibles et imaginables pour la santé de la population qui est contrainte de rester à son domicile, il en va du devoir du gouvernement, en dialogue avec le secteur privé, que des mesures toutes aussi importantes soient débloquées pour maintenir le niveau économique de ces personnes. La question est loin d’être simple. Mais le fait d’observer de plus en plus de débats, et parfois de disputes, pour savoir s’il est plus intéressant de sauver l’économie que des vies, est bien le symptôme que quelque chose n’est pas correct dans notre société.
Jeudi 16 avril 2020, à Fortaleza – par Benjamin Egot